Le photographe Alberto Roveri a décidé de numériser ses archives. Il retrouve alors des portraits du premier reportage sur le Cavaliere. Des images inédites qui racontent l'année où est né son projet médiatique. Avec à ses côtés Dell'Utri. Et un revolver sur la table pour se défendre contre les enlèvements.

Silvio Berlusconi dans son bureau du Foro Bonaparte, à Milan, en 1977. On peut voir sur son bureau le revolver qu'il avait pour se défendre contre un enlèvement.
Formidabile année. On est en 1977, quand le Docteur, comme ses plus proches collaborateurs ont continué à l'appeler, devient pour tous les Italiens il Cavaliere : Le Chevalier du Travail Silvio Berlusconi. Le titre honorifique est décerné par le président Giovanni Leone à cet entrepreneur de quarante ans qui a construit une ville satellite, est en train d’acheter la majorité du Giornale d’Indro Montanelli et promet de briser le monopole de la télévision d'État.
C'est l'année où le nouveau chevalier établit des relations un peu trop cordiales avec le sommet du Corriere della Sera et, dans un entretien avec Mario Pirani sur Repubblica, annonce qu’il veut ranger sa télévision aux côtés des politiciens anticommunistes. Jusque-là, peu de gens le connaissaient et seulement en Lombardie : il était le constructeur qui avait inventé Milano Due, la première ville nouvelle qui exaltait le luxe, la verdure et la protection contre la criminalité. Le signe qu’en cette saison de terrorisme et de hold-ups, mais surtout d'enlèvements, la sécurité était le bien le plus précieux. Et lui, sur la première de ces photos redécouvertes après 33 ans, se montre comme un homme d'affaires qui sait se défendre : bien en évidence sur son bureau il y a un revolver. Une image qui renvoie aux films populaires de ces années de plomb, des polars à l’italienne sur les citoyens se faisant justice eux-mêmes aux exploits pistoleros de Clint Eastwood. «Avec un Magnum vous vous sentez heureux», assurait l’inspecteur Callaghan, et même le Chevalier s’était adapté, mettant dans l’ étui un petit et puissant 357 Magnum.
C’est justement ce revolver qui a frappé aujourd'hui le photographe Alberto Roveri tandis qu’il transférait sa collection de pellicules dans des archives numériques: « J’étais en train de les agrandir pour nettoyer les imperfections quand est apparue l'arme, que j'avais oubliée. » Comme dans Blow Up d'Antonioni, à force d’agrandir le négatif, l'arme est apparue: « À l’époque, cette prise de vue à distance ne m’avait pas plu et je l’avais écartée. ». Roveri était un photoreporter de rue, qui avait été embauché en 1983 par Mondadori et dans les années soixante-dix il a aussi travaillé pour Prima Comunicazione, le magazine sur les médias: «Quand en 1977, le directeur m'a dit que je devais faire un reportage sur Berlusconi, j’ai répondu: «Qui est-ce? ». Il a dit: « Il est en train d'acheter le Giornale et d’ouvrir une télévision. Tu verras qu’on en parlera longtemps. »
Roveri réalise ce qui est peut-être la première série de portraits officiels, auxquels le jeune constructeur a voulu confier son image de vainqueur. La rencontre eut lieu dans les bureaux d’Edilnord: « Il était d’une cordialité rare, il a ordonné de ne pas le déranger et a commencé à prendre la pose. À ma grande surprise, il a même refusé un appel du maire Tognoli. » Le seul qui fut autorisé à interrompre la séance fut Marcello Dell'Utri, immortalisé dans une autre photo inédite qui met en évidence le look commun des deux hommes : cols blancs amidonnés, boutons de manchettes en diamant, coiffures similaires. Ils forment un couple harmonieux, ensemble ils ont créé une ville à partir de zéro, avec une combinaison de fonds qui alimentent les soupçons et les enquêtes. Un couple qui seulement quelques mois plus tard se séparera parce que Dell'Utri suivra un magnat beaucoup moins de chanceux Filippo Alberto Rapisarda, un familier du mafieux Vito Ciancimino. Il reviendra en 1982, organisant d’abord le colosse de la pub, Publitalia, puis celui de la la politique, Forza Italia.

Silvio Berlusconi avec Marcello Dell'Utri. Photo Alberto Roveri
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Leur histoire avait commencé en 1974, transformant des relations professionnelles en amitié. Dell'Utri est également l'administrateur de la Villa San Martino, la résidence d’Arcore [de Berlusconi]. Et après quelques mois, il y a accueille un palefrenier connu à Palerme, qui fait encore jaser: Vittorio Mangano, arrêté plus tard comme assassin de Cosa Nostra. Une présence inquiétante qui scelle, selon les procureurs de Palerme, des accords économiques avec la mafia en échange d'une protection contre les enlèvements. Mais en 1977, Mangano est déjà retourné en Sicile. Et Berlusconi ne devait pas se sentir si serein que ça, comme en témoigne le revolver dans l’étui. Le photographe Roveri se souvient: « Après plus de deux heures de prises de vues, il m'a invité à déjeuner, mais avant de partir, il a tiré d'un tiroir, deux pistolets, un pour lui et un pour le chauffeur. Face à ma surprise, il s’est justifié: "Vous avez une idée du nombre d’industriels qui se font kidnapper?" Puis nous sommes montés dans une Mercedes qu'il a qualifiée de "blindatissima" pour aller dans un restaurant qui n’était qu’à 200 mètres. »
L'aube du Cavaliere: les photos des archives Roveri